Vous êtes cadre supérieur dans une grande entreprise, plutôt quinquagénaire, mais pas forcément.
Malgré de bons et loyaux services, vous constatez, depuis quelques temps, que votre employeur vous exclut des projets stratégiques, des réunions en interne, ou encore des salons, colloques ou séminaires à l’extérieur.
Et quand vous vous en plaignez, il se confond en excuses, vous dit que c’est une erreur, mais recommence à la première occasion.
Peut-être vous a-t-il également recommandé de rechercher du travail en interne pour mieux mettre en valeur vos compétences, mais curieusement, toutes les pistes se transforment en impasse ?
Dans le même temps, certains troubles somatiques sont éventuellement apparus, mais vous n’y prêtez pas encore attention.
Un décryptage s’impose, car il est fort probable que vous soyez victime d’une forme nouvelle et très en vogue de harcèlement moral : le harcèlement moral démissionnaire des cadres.
Pourquoi le harcèlement moral démissionnaire existe-t-il ?
Compte tenu des plafonds fiscaux et sociaux d’exonération des indemnités de rupture progressivement mis en place par le législateur, puis régulièrement abaissés au titre du coup de rabot sur les niches fiscales, il n’est plus possible de se séparer amiablement, car cela coûte trop cher aux parties : le rapport entre l’indemnité nette de charges et d’impôts pour le salarié et le coût de cette indemnité pour l’employeur peut aller de un à trois.
Certains employeurs, lorsqu’ils veulent se séparer de collaborateurs au revenu élevé, adoptent alors une stratégie différente, dont la première étape consiste à déstabiliser leur cible.
Celle-ci dure quelques semaines, période pendant laquelle l’employeur escompte une démission.
Mais le salarié, qui ne s’est pas fait expliquer clairement qu’on ne voulait plus de lui, conserve quelques espoirs de rétablissement, et par ailleurs, l’état du marché du travail n’est pas propice à une démission rapide, d’autant moins qu’entretemps, la porte du Pôle Emploi reste fermée : le plus souvent, le salarié continue de subir la situation assez longtemps.
La seconde étape consiste alors à s’appuyer sur la déstabilisation provoquée lors de la précédente étape pour entreprendre un licenciement du salarié.
Certes, il aura alors droit aux allocations chômage, mais il sera sans doute moins aisé pour lui de retrouver un poste, alors qu’il est en recherche d’emploi.
Comment sortir de ce piège ?
Il faut sortir du prisme binaire démission/licenciement.
A cet effet, les juges ont mis en place des modes de rupture autonomes du contrat de travail, qu’on ne trouve pas dans les textes, et qui méritent pourtant d’être connus.
Il s’agit essentiellement de la prise d’acte de la rupture et de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.
La prise d’acte de la rupture du contrat de travail consiste à adresser un courrier motivé à son employeur, en mettant en exergue les fautes commises par l’employeur dans l’exécution du contrat de travail.
La rupture est immédiate (sans préavis) et suivie, en principe, d’une saisine prud’homale à l’initiative du salarié pour que le juge reconnaisse le bien fondé de la démarche.
Si ce dernier y fait droit, la rupture est assimilée à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec dommages et intérêts à la clé. A défaut, la rupture est assimilée à une démission.
La prise d’acte de la rupture doit donc être entreprise avec précaution, ne serait-ce qu’à raison de la question de l’indemnité de préavis.
Surtout, la prise d’acte n’ouvre pas droit au Pôle Emploi, de sorte qu’elle n’est mise en oeuvre, en général, que pour rejoindre un nouveau poste. Les juges sont alors plutôt enclins à l’assimiler à une démission.
La demande de résiliation judiciaire peut permettre de résoudre cette difficulté : à l’inverse de la prise d’acte, elle consiste à saisir les juges pour leur demander de rompre eux-même le contrat de travail, ce dernier étant maintenu tout le temps de la procédure.
Si ces derniers y font droit, la rupture est, ici aussi, assimilée à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. A défaut, le contrat de travail est maintenu, ce qui est généralement plus nuisible à l’employeur qu’au salarié.
L’expérience montre que, dans ces conditions, l’employeur préfère licencier le salarié avant le procès, tandis que le salarié opérera, de son côté, une prise d’acte de la rupture s’il a retrouvé un poste avant d’être licencié (le risque de requalification en démission étant alors moindre).
La procédure prud’homale ne sera pas compromise pour autant, et le salarié dont les griefs étaient fondés obtiendra gain de cause.