Actualité

Licenciement des cadres, il faut arrêter le massacre ! Tribune dans le Huffington Post


Le landerneau politico-médiatique français ne s’agite que pour les extrêmes : d’un côté, les quelques grands patrons rapaces qui partent avec des bonus inversement proportionnels aux ardoises qu’ils laissent, de l’autre, les ouvriers et employés victimes de plans sociaux dévastateurs, pour lesquels les syndicats se débattent avec plus ou moins de succès.

Entre les deux, la population des cadres n’a jamais voix au chapitre, alors même qu’elle ne cesse de croître au gré de la tertiarisation de notre économie.

Il faut dire que ces derniers en sont largement responsables, pour avoir docilement accepté de porter l’étiquette de privilégiés et même de « riches ».

Et tant pis si l’étiquette est devenue un fardeau insoutenable : le pli est pris pour longtemps et les cadres ne font pleurer personne, si ce n’est eux-mêmes, pourvu que ce soit chez soi, et en silence.

Or, s’il est une population assaillie de toute part depuis quelques années, c’est bien celle des cadres : hausses d’impôts en tout genre, réduction des allocations familiales (« cotiser plus pour recevoir moins »), différé d’indemnisation Pôle Emploi porté à 180 jours jusqu’au 1er mars dernier (« cotiser pour ne rien recevoir »).

Mais surtout, c’est dans leur quotidien, au sein des entreprises dans lesquelles ils s’investissent souvent sans compter, que leur situation s’est le plus dégradée ces dernières années : ils se savent désormais sur un siège éjectable, dont les ressorts, loin de se détendre, se compressent au contraire au rythme de leur ancienneté.

C’est le moment que choisit le gouvernement pour leur porter le coup de grâce : le plafonnement des indemnités prud’homales, pourtant invalidé par le Conseil Constitutionnel lorsqu’il était inséré dans la Loi Macron promulguée en août 2015, ressurgit de plus belle dans le projet de loi El Khomri les grandes entreprises bénéficiant en plus d’un alignement sur les petites, le critère de la taille des effectifs ayant été considéré comme anticonstitutionnel.

La première chose qui frappe avec cette mesure, c’est que personne n’a soulevé, pas même le Conseil Constitutionnel, la question de sa conformité avec le principe de séparation des pouvoirs, hérité de Montesquieu, et inscrit à l’article 16 de la Déclaration de 1789.

Elle aurait pourtant mérité d’être au moins posée, car le pouvoir souverain d’appréciation du préjudice par le juge serait ouvertement bridé par les deux autres pouvoirs, première du genre.

C’est à croire que la période actuelle est tellement tourmentée qu’on en oublie même jusqu’aux points cardinaux qui ont guidé la construction de notre démocratie.

Surtout, l’approche est symptomatique de la perception du marché du travail par nos gouvernants comme un fromage qu’il s’agit uniquement de répartir entre les souris que nous sommes, à défaut de savoir le faire grossir.

C’était déjà le cas avec les 35 heures, et le plafonnement des indemnités judiciaires participe de la même logique, certes de manière plus insidieuse.

En effet, l’objectif très largement colporté de la mesure serait de « favoriser l’emploi en levant les freins à l’embauche ».

Un discours de vérité aurait plutôt consisté à écrire « favoriser l’embauche des uns en levant les freins au licenciement des autres ».

A ce jeu, les cadres ayant une grande ancienneté seront particulièrement exposés, car tel est, à n’en pas douter, l’un des objectifs cachés de la mesure.

A vrai dire, le mouvement est déjà largement en marche, et il s’agit simplement de l’accélérer, en faisant sauter le dernier rempart que représentent les juges.

Or, ces derniers prennent progressivement conscience de ce qui se joue réellement, et condamnent les employeurs qui dégraissent sauvagement (plus en appel que devant le Conseil de Prud’hommes), avec des niveaux d’indemnités susceptibles de décourager ces calculs bassement financiers.

Avec le plafonnement de ces dernières, licencier abusivement un cadre ne coûtera finalement pas si cher au regard de l’économie faite sur son salaire, alors pourquoi s’en priver ?

De son côté, la progéniture dudit cadre, qui se destine sans doute à le devenir à son tour, pourrait se poser cette autre question, encore plus inquiétante pour notre avenir commun : pourquoi rester en France, dans de telles conditions ?

Retrouver l’article dans le Huffington Post