L’objectif d’atteinte de l’égalité hommes – femmes en 2030 fixé par l’ONU ne sera pas atteint, ni en France, ni dans aucun des 128 autres pays étudiés par l’ONG Equal Measures qui a publié son rapport il y a quelques jours. Concernant la France, où les femmes sont payées en moyenne 25 % de moins que les hommes et 9 % de moins à poste et âge égaux, ce n’est malheureusement pas non plus prêt de changer avec le nouvel index créé par le Gouvernement qui ressemble plus à un exercice de communication qu’à un dispositif contraignant.
Index de l’égalité femmes-hommes : de quoi parle-t-on ?
La loi du 5 septembre 2018 (dont l’intitulé était pourtant si prometteur : « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel »), a institué avec ses décrets d’application, un index basé sur 5 indicateurs, ayant vocation à être appliqué dans chaque entreprise:
- Les écarts de rémunération par tranche d’âge et poste équivalent : 40 points
- Les écarts de taux d’augmentations individuelles : 20 points
- Les écarts de taux de promotion : 15 points
- Les femmes augmentées au retour de leur congé maternité : 15 points
- Le nombre de personnes du sexe sous représenté dans les 10 plus hautes rémunérations de la société : 10 points
En additionnant le score obtenu pour chacun des indicateurs, les entreprises obtiennent un score sur 100, qu’elles devaient publier sur internet le 1er mars 2019 (pour les entreprises de plus de 1000 salariés).
Un index qui permet aux entreprises de violer des dispositions d’ordre public
La France semble exceller en matière d’égalité professionnelle. Depuis le 1er mars dernier de nombreuses entreprises se sont empressées de publier leurs excellents résultats. A titre d’exemples : Alstom : 95/100 ; Arcelor Mittal : 89/100 ; BNP Paris : 87/100 ; Carrefour : 80/100 ; LVMH : 90/100 ; Sanofi : 94/100… On pourrait considérer que tout va pour le mieux dans les entreprises françaises.
Mais comment expliquer des scores aussi élevés ? Alors même que :
- Au sein de la BNP qui a obtenu 87 points : la Direction Générale et le Comité Exécutif de compte 20 membres dont uniquement 3 femmes et les hommes sont payés en moyenne 23% de plus que les femmes au sein de cette même banque ;
- Le Comité Exécutif de LVMH compte 1 femme aux côtés de 11 hommes ;
- La Direction d’Arcelor Mittal ne compte tout simplement aucune femme..
L’explication se trouve dans la construction de l’index qui permet aux entreprises de dissimuler les inégalités et les écarts de rémunération.
A titre d’illustration, l’article L.1225-26 du Code du travail prévoit qu’à leur retour de congé maternité les femmes doivent bénéficier d’une augmentation à hauteur de l’augmentation générale perçue par l’ensemble des salariés ainsi que de la moyenne des augmentations individuelles perçues par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle.
L’index se contente de prendre en compte les augmentations, sans se préoccuper du montant de ces dernières, qui peuvent, dès lors, être dérisoires pour le même résultat affiché.
Le seuil de sanctions est beaucoup trop bas !
Une autre manifestation des compromis qui ont guidé la création de l’index se matérialise par le seuil de sanctions fixé au score arbitraire de 75 points. Si les entreprises obtiennent un score inférieur à 75 points pendant 3 ans elles s’exposent à des sanctions pécuniaires qui peuvent atteindre 1 % de la masse salariale. La première question à laquelle malheureusement personne ne peut répondre est : pourquoi 75 et pas 100 ? Pourquoi nous parler d’une obligation de résultat et fixer un seuil arbitraire inférieur à 100 ?
Le seuil est d’autant plus facile à atteindre pour les entreprises que les indicateurs se compensent les uns les autres. Ainsi, si une entreprise obtient l’intégralité des points des 3 premiers indicateurs : 40 points pour les écarts de rémunération par tranche d’âge et poste équivalent + 20 points pour les écarts de taux d’augmentations individuelles : + 15 points pour les écarts de taux de promotion, elle obtient le score de 75 points et peut avoir zéro aux deux derniers critères :
- L’augmentation des femmes au retour de leur congé maternité qui compte pour 15 points et qui comme expliqué précédemment peut être très aisément atteint par les entreprises, en violation du droit applicable ;
- Le sexe sous représenté dans les 10 plus hautes rémunérations de la Société qui compte pour 10 points et qui permet donc aux entreprises de maintenir le plafond de verre déjà bien en place sans la moindre fissure.
L’égalité professionnelle sacrifiée sur l’autel des compromis
« Compromis » entre le Gouvernement et les entreprises c’est le maître mot qui revient quand on s’interroge sur les défaillances de cet index, c’est l’explication donnée pour ce résultat clairement insatisfaisant et insuffisant.
L’égalité entre les hommes et les femmes est une problématique qui dépasse le monde professionnel, qui dépasse le droit, c’est un sujet de Société qui prend de plus en plus d’ampleur au sein de notre quotidien, à travers des # sur les réseaux sociaux comme #6novembre15h35, à travers des Manifestations, à travers des questionnements sur l’éducation, à travers l’évolution des publicités où finalement, en 2019, les hommes aussi sont amenés à utiliser une machine à laver et les femmes à conduire un SUV, à travers des revendications de plus en plus fortes des femmes mais aussi des hommes (comme le congé paternité) car l’égalité professionnelle ne pourra progresser que si nous arrêtons d’opposer les deux genres.
Au sein de cette évolution globale qui touche la Société, qui touche beaucoup de foyers et qui permet une évolution des mentalités, notamment des plus jeunes, on se retrouve avec un monde professionnel en retard et dont les dernières mesures gouvernementales permettent non seulement de masquer les inégalités mais également de conforter certaines entreprises dans leur politique inégalitaire.
Non seulement l’index n’est pas fiable mais il est dangereux, car il donne du crédit à des politiques défavorables à l’égalité professionnelle. A titre l’illustration, alors que la CGT vient de lancer une action de groupe contre la Caisse d’Epargne Ile de France, estimant que les inégalités de rémunération n’avaient fait qu’augmenter ces trois dernières années, le Directeur des Ressources Humaines s’est empressé de s’appuyer sur l’index pour souligner que la Caisse d’Epargne Ile de France avait obtenu le score très honorable de 94 points sur 100.
Face aux mesures en demi-teinte du Gouvernement qui ne prend aucune mesure forte pour forcer la main aux entreprises, pour ne surtout pas se les mettre à dos, il reste à espérer que les entreprises s‘emparent elles-mêmes du sujet, au-delà de la communication.
Maître Elodie Sénéchal, collaboratrice du Cabinet Saint Sernin